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La faute à Volvo

La faute à Volvo

La faute à Volvo
Mis en ligne le jeudi 16 décembre 2010.

Publié dans le numéro 07 (8-21 mai 2010)

Blaise Pascal : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. » Quatre siècles plus tard : Le cœur et la raison. Deux visages évanescents de femmes, deux figures féminines doubles à ravir Nerval ou David Lynch, blondes platines, lèvres mi-closes, yeux clos. Et une belle bagnole. Chez Hyundai, nous pensons qu’il est possible de satisfaire aussi bien le cœur que la raison. Ribéry, il a regardé la pub, et il s’est dit : tiens ! c’est pas con, ça, le coup du cœur et de la raison et des deux nanas.

 

 

 

Le lendemain, nouvelle pub... Une jeune femme, comment dire... agenouillée ? non. Accroupie ? On voit bien que là sont les genoux, là la croupe. Mais soudain, rien n’est plus sûr. « ACCROUPI. État d’une personne accroupie. S’ACCROUPIR. Le sens originel est “s’assoir sur la croupe” (par conséquent en parlant d’animaux). > Contrairement au lion, la lionne s’accroupit pour uriner. Se tenir comme assis sur ses talons. > à croupetons. » Quelle définition merveilleuse ! Se tenir sur les talons, on le fait lorsque l’on est debout — alors que « comme sur les talons » ! Tout l’érotisme de Volvo est là. Parce qu’une lionne accroupie comme ça, avec une croupe, des cuisses et des petites ballerines comme ça, on n’avait pas vu ça depuis longtemps. Ribéry non plus.

La vie offre bien plus qu’une Volvo. Ribéry, il a longtemps regardé cette publicité. Et il s’est dit : comment faire pour que la vie m’offre cela ? Il a appelé un pote, il lui a dit, dis donc, tu ferais comment, toi, pour qu’une fille comme sur les talons t’enlève ta cravate ? Et le pote lui a dit : t’inquiète, j’m’en occupe, au fait, c’est bientôt ton anniversaire, non ? S’en est suivie l’affaire Zahia, celle qui clame en une de Paris-Match : « J’étais le cadeau d’anniversaire de Ribéry. » Ou comment un ami attentionné offre non pas une énième cravate postée par Colissimo à Munich, mais une jeune fille de dix-huit ans moins le quart, postée par avion. Tout simplement. Pour braver la vie comme on brave les éléments. Ce qui laisse songeur sur la notion de bravoure, d’anniversaire, et surtout d’amitié.

 

 

 

Lorsque ce type d’affaire éclate, la presse en fait ses choux gras. Les blogs se déchaînent. Puis un beau jour, rideau noir : les commentaires sont fermés « en raison de nombreux dérapages ». Ah, le web, la liberté de la communication à l’époque moderne, l’agora en acte ! Dès que ça devient sérieux, que ça parle putes-foot ou conflit israëlo-palestinien, c’est la Chine : hop ! la plupart des sites ferment leurs posts. Cette dernière phrase n’étant pas un regret sur la fermeture des posts à la teneur misérable, mais bien plutôt sur le mirage du débat démocratique permis par les commentaires — encore que : sans les commentaires on aurait raté ce subtil raisonnement d’un internaute :

« Vraiment je ne comprends pas comment vous avez pu faire sortir une telle hisoire c’est clair que l’argent est votre seul motif, parce que c’est clair que devoilant cette histoire vous sachiez que cela pourrai detruire la vie de certains joueurs. Maintenant Ribery n’a pas la tete au foot car il s’est prendre un carton rouge aujourd’hui et pourrai meme manquer la finale de la ligue des champions,vraiment c’est honteux que vous pouviez traiter ce joueurs de cetter maniere. » http://zarkoo.blogspot.com

 « Je refuse qu’on dise que je suis une prostituée. Je ne suis pas sur le bord d’un trottoir ou assise sur un tabouret de bar », dit Zahia, nous fournissant par là-même une définition subtile de la prostitution. J’ai une amie qui petite fille, s’étant beaucoup promenée vers Pigalle, à la question : tu veux faire quoi quand tu seras grande ? répondait : Comme les dames, m’asseoir sur un tabouret en fumant des cigarettes. La cigarette est désormais interdite : reste le tabouret. Là encore, il est question de croupe et de posture. La chaise : trop raide, trop basse, trop étriquée. Le canapé : trop d’emprise au sol. D’où l’intelligence du tabouret : l’érotisme que le canapé campe par sa largeur, le tabouret l’acquiert par sa hauteur. On croise et décroise ses longues jambes. L’équilibre est suffisamment instable pour favoriser une certaine perte de quant-à-soi : on ne tient que par un coude, celui qui repose sur le bar. L’homme, s’il arrive, debout, peut, d’un mouvement de la main, vérifier la présence de bas. Non : une jeune fille comme il faut ne doit jamais s’asseoir sur un tabouret ni déambuler sur le bord d’un trottoir.

La majorité sexuelle est l’âge à partir duquel un mineur civil peut entretenir une relation sexuelle avec un adulte sans que cet adulte commette une infraction pénalement réprimée. Majorité sexuelle en France : 15 ans. Dans le cas de Zahia, le problème n’est donc pas celui de la majorité sexuelle, mais celui de la relation tarifée. Car la prostitution a cela d’égal avec les autres métiers qu’elle requiert, outre des aptitudes, un âge minimal. Voyez plutôt : à peine né, on peut travailler dans une entreprise de spectacles ou dans une agence de mannequins ; à 12 ans, on peut regarder un film à léger contenu sexuel ; à 14 ans, on peut travailler pendant les vacances scolaires ; à 15 ans, on peut coucher avec qui on veut et travailler dans le cadre d’un contrat d’apprentissage ; à 16 ans, on peut regarder un film érotique, adhérer à une mutuelle, s’engager volontairement dans l’armée ; à 18 ans, on peut regarder un film porno, se syndiquer, voter, devenir maire, se prostituer, être enrôlé de force dans l’armée ; à 23 ans, on peut être élu député ou président ; à 25 ans, on peut être RSAste ; à 30 ans, on peut se présenter aux sénatoriales. On conviendra que les cas tragiques sont ceux de l’adolescente délurée de 15 ans et demi qui n’a pas le droit de regarder Emmanuelle II et celui du jeune loup de 27 ans qui rêve de succéder à Alain Poher. Ainsi que, désormais, celui de Zahia, laquelle s’exclame : « J’ai toujours fait plus vieille que mon âge. » (On notera qu’en matière amoureuse, l’âge n’est pas un critère de libre choix suffisant. Entre aussi la question de la relation de subordination : ainsi, en France, un professeur qui a des relations sexuelles avec un de ses élèves de 16 ans peut être condamné. « L’âge limite est relevé de 15 à 18 ans dans le cas de relations entre un mineur et un ascendant ou toute personne ayant autorité par nature ou par sa fonction. » Mais qu’est-ce qu’une relation de subordination ? N’eston pas tous pour ainsi dire subordonnés à notre équipe nationale de football ? Zahia, non. « Qu’il soit une star du football ou pas, je m’en moque, c’est un client comme un autre. » Voilà qui est clair.)

 

 

 

La jeune fille à la Volvo a oublié de mettre sa robe. Elle semble beaucoup plus délurée que Zahia qui elle, porte une robe — dont la longueur est courte, certes, mais acceptable. D’ailleurs les chaussures de Zahia sont absolument charmantes ; ne serait ce vernis foncé (qui s’écaille !) un brin sulfureux. Alors certes, la bouche est trop entrouverte, les yeux trop de biche, le paysage trop cannois. Mais c’est la faute au photographe. Fermez-lui la bouche, faites-la regarder droit, maquillez-la normalement, plantez-la dans le VIe arrondissement, et vous obtiendrez une jeune fille charmante. Le journaliste de Match, qui maîtrise le zeugma, se fend d’un sublime « vêtue de probité candide et de cheveux trop blonds », osant un « trop » moraliste en diable — s’il est vrai que Scarlett Johansson a le droit d’être blonde platine sans que personne ne lui reproche rien. La blondeur, d’objective, devient qualitative.

La jeune fille à la Volvo est châtain. Elle a de petits seins, si si. Bref, la grande classe. Après des minutes d’observation tenace, on voit enfin, derrière elle, comme une langue rose, une planche à voile. La morale reprend le dessus : ce n’est que jeu charmant de gens mariés qui s’apprêtent à faire du surf. Qui auraient oublié de mettre leurs alliances. Ou alors, l’homme est allemand, espagnol ou hongrois : il porte son alliance à l’annulaire droit, que l’on ne voit hélas pas — occupé qu’il est à déshabiller sa belle. Il a le bénéfice du doute. Mais la femme ? On ne voit pas sa main gauche, occupée qu’elle est elle aussi. Femme ? Maîtresse ? Prostituée mineure ? Prostituée majeure ? Des sociologues ont donné l’inéquation suivante pour qu’une liaison entre deux personnes soit socialement acceptée : le plus jeune des deux doit avoir au moins la moitié de l’âge du plus vieux, plus 7 ans. L’homme Volvo, dans la force de l’âge, a bien 50 ans. 50/2+7= 32. Au secours ! La liaison n’est pas socialement acceptable du tout. Ne jamais être là où on vous attend. — Chéri ? tu es où ? — Oh, pffff !!! au bureau, avec une pile de dossiers. Voilà le genre de dialogues de l’homme à la Volvo. Qui est toujours là pour ceux qui l’aiment. Car non : ce n’est pas sa femme. C’est bien sûr sa maîtresse. Seule une maîtresse emportée par la passion est inattentive à ce point à la présence d’un vieux grillage barbelé derrière son homme au moment de la photo ; une femme aurait déjà emmerdé tout le monde pour qu’ils se déplacent, là, à côté des jolies fleurs. Et puis a-t-on déjà vu une femme mariée ouvrir la bouche de ravissement hilare en enlevant la cravate de son vieux mari ? Non.

Alors il faut nous rendre à l’évidence : soit vous aimez le grec ancien, et alors cet homme est un dangereux islamiste radical, car actuellement vous n’êtes pas sans savoir que qui a deux ou trois femmes est un affreux polygame, du grec poly, « beaucoup », etc. Soit vous aimez le latin, et alors cet homme est un don juan charmeur qui jongle avec les affinités électives comme tout sympathique libertin, de libertinus, « esclave affranchi ». L’identité nationale se réduira bientôt à ce débat : racines grecques ou racines latines ? Brouiller les pistes.

Dernière légende de la photo de ParisMatch : « Avant de savoir s’il jouera au Real, c’est en Afrique du Sud que Ribéry est attendu le vendredi 11 juin. Avec les Bleus. Pour une rédemption que tous espèrent. » Avant, le tarif de l’adultère, c’était deux Ave et trois Pater. Maintenant, c’est trois corners et deux buts. Ce qui est somme toute très cher payé.

 

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