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Mort à la plage

Mort à la plage

Mort à la plage
Mis en ligne le mardi 2 juin 2009 ; mis à jour le samedi 26 septembre 2009.

Publié dans le numéro 31 (mai-juin 2009)

Cette énigme sera nettement plus facile à lire au format PDF du magazine.

La solution se trouve au bas de la page.

L’île de Kemeneur, au large du Finistère, a une population de deux habitants : démographie peu propice aux faits-divers sanglants. Elle est pourtant le décor une sinistre affaire d’homicide, où le faible nombre de suspects est pimenté par la grammaire déplorable de la victime.


Les faits

Le 14 avril 2009, à 17h20, le corps de Sébastien Botherel est découvert sur la plage. Il est décédé suite à plusieurs coups portés avec un objet tranchant, ayant provoqué une hémorragie. A côté de lui, dans le sable humide, sont tracées quelques lettres désignant sans doute son agresseur.


La victime

Sébastien Botherel

28 ans

Condamné en 2004 pour une série de cambriolages dans l’ouest de la France, il était sorti de prison un mois auparavant.


Les suspects


Cinq personnes seulement étaient présentes sur l’île au moment des faits


Yves Jezequel

retraité, réside sur l’île.

63 ans, pointure 42

C’est lui qui a découvert le corps, à 17h20. Il a appelé les secours sur son téléphone portable.

Les pompiers sont arrivés en hélicoptère de Morlaix dix-sept minutes plus tard et ont constaté le décès.

« Je me promenais sur la falaise qui longe la plage lorsque j’ai aperçu quelqu’un allongé sur la plage. J’ai cru à un touriste, ça m’a surpris de voir un baigneur si tôt dans la saison. Je l’ai photographié, ça m’amusait, je voulais le mettre sur mon blog. Puis je suis descendu et en m’approchant j’ai compris qu’il était inanimé. J’ai été lui porter secours mais c’était trop tard. »



Catherine Font

artiste, compagne de Jezequel, réside sur l’île.

47 ans, pointure 37

« J’ai travaillé dans mon atelier attenant à la maison toute la matinée et en début d’après midi. Vers 15h55 je suis allée chercher des galets sur la plage du sud pour mes sculptures. A mon retour, vingt minutes plus tard, j’ai aperçu au loin, derrière les dunes, une jeune fille assise sur une souche, elle semblait regarder une carte. Je l’ai ensuite identifiée comme étant Sonia Verhuys. Elle est restée là au moins quinze minutes. »



Loïc Botherel

frère de la victime. Marin pêcheur, il est au chômage depuis 3 ans.

34 ans, pointure 41

Suspecté de complicité lors du procès de son frère, il a été acquitté.

« Depuis sa sortie de prison, mon frère était dépressif, avec Sonia on a décidé de le sortir un peu. On s’est souvenu de cette petite île où on allait camper quand on était ados, j’ai pris mon zodiac et on est allé pique-niquer pour la journée.
Vers 15h, Sébastien a proposé d’aller faire un tour en bateau, Sonia avait eu le mal de mer à l’aller, elle est restée seule. Je l’ai accompagné. On a accosté sur la plage aux galets une demi-heure plus tard, je suis allé marcher un peu. Quand je suis revenu dix minutes plus tard, le zodiac et Sébastien n’étaient plus là ». Je suis allé rejoindre à pied les dunes où on avait laissé Sonia, je l’ai retrouvée vers 16h30. On a attendu Sébastien, puis à 17h30 on a entendu l’hélico des pompiers arriver… »


Sonia Verhuys

Informaticienne à Morlaix, ancienne compagne de la victime

27 ans, pointure 39

« On est partis de Roscoff avec Loïc et Sébastien en canot à moteur vers 12h30. Arrivés sur l’île vers 13h00, on a accosté sur la petite plage de sable du sud-est. On a pique-niqué, plus loin derrière les dunes. Vers 15h, les garçons sont allés faire un tour en bateau. Moi je suis restée pour me reposer, je suis allée me balader dans l’intérieur de l’île puis je suis revenue les attendre. Loïc est revenu seul, à pied, plus d’une heure plus tard, il avait l’air épuisé et inquiet. Il m’a dit que Sébastien était parti seul en bateau. On a décidé de l’attendre, mais il n’est jamais arrivé. »


Pascal Lorca

Ancien compagnon de cellule de la victime.

31 ans, pointure 42

« Quand on était en prison, Sébastien m’avait parlé de bijoux et d’objets d’art volés lors d’un cambriolage en 2004, juste avant son arrestation, et qu’il avait planqués sur une île. Il ne savait pas comment les écouler, il n’avait pas de contacts pour ce genre de choses. D’après lui il en avait au moins pour 500 000 euros. Je lui ai proposé de l’aider.
Je suis sorti de prison un mois avant lui. Il y a une semaine, il m’a contacté, il devait récupérer les bijoux. Il voulait y aller seul mais j’ai eu peur qu’il me double, je l’ai suivi discrètement. Quand j’ai vu qu’il prenait le bateau, j’ai réussi à trouver un pêcheur pour me déposer sur l’île. Mais quand je suis arrivé là bas je n’ai pas trouvé sa trace, puis les pompiers sont arrivés. J’étais coincé, j’ai décidé de me signaler à la police et de tout raconter. »



Ludovic Le Gwen,

marin-pêcheur

51 ans, pointure 44

« Vers 16h, j’étais sur le port, j’ai été appelé par un copain, il avait rencontrée un gars à Roscoff qui cherchait à se rendre sur l’île de Kemeneur. Il proposait 200 euros. Mon zodiac était prêt, j’ai dit OK. On est parti quinze minutes plus tard, je l’ai laissé sur la plage de galets au sud-est. Il voulait que je l’attende, je ne pouvais pas, j’ai proposé de repasser le prendre à 19h30. »

Le témoin identifie Pascal Lorca comme son passager.



Les indices


Le corps de la victime


Emplacement du corps : sur la page du Creac’h, à 26 mètres de la ligne de marée basse de la plage.

Le corps montre plusieurs traces de coups assénés avec un objet tranchant, sur la joue, le cou et aux mains. La blessure au cou a provoqué une hémorragie qui a entraîné la mort en quelques minutes.

Autour du corps : Traces sur le sable montrant que la victime a marché à quatre pattes sur environ 6 mètres avant de s’arrêter à l’emplacement où le corps a été découvert ; avant ces six mètres, il a laissé des traces de pas sur cinq mètres. Les empreintes des chaussures correspondent aux siennes. Elles s’éloignent en ligne de droite de la mer, perpendiculairement au rivage.

A côté du corps, dans la sable, cette inscription :

« L ma tué »

La victime serrait dans sa main droite une bague et un pendentif en or, identifiés par Catherine Font comme faisant partie des bijoux volés lors du cambriolage de 2004. Ses vêtements étaient imbibés d’eau salée, sauf le haut de son pull.

Pas d’autres traces autour du corps.


La plage du Creac’h :

L’amplitude des marées à cette époque de l’année y est de 2,40 m, ce qui représente environ 60 mètres de distance entre la ligne recouverte à marée haute et celle découverte à marée basse. La pente est uniforme et la marée se retire à vitesse constante.
Les grottes sont accessibles deux heures avant et après la marée basse [1].


Horaire des marées le 14-4 :

marée haute à 12h04

marée basse à 17h59


Photos prises le 14-04 par Yves Jezequel

Sur la photo prise depuis la falaise (17h14 selon l’horloge interne de l’appareil numérique), on voit nettement que les seules traces de pas à proximité du corps sont celles laissées par la victime.

Sur une autre photo prise ce jour là ( 16h03) on distingue un petit bateau à moteur (zodiac) à quelques centaines de mètre de la côte, il y a deux personnes à bord, impossible de les identifier.


Zodiac abandonné

Dans les hautes herbes qui bordent les dune du sud de l’île. Le Zodiac a été crevé par un coup violent porté sur un de ses boudins. Dans le fond du zodiac : une boucle d’oreille en argent. Des traces de sang à l’avant.

Trois traces de pas dans le sable humide à proximité des dunes. Le sable très meuble s’est tassé, rendant impossible l’identification précise des empreintes, mais on peut affirmer que la pointure est comprise entre 39 et 42.


A quelques mètres de là, dans les hautes herbes : une pelle pliante, modèle militaire. Maculée de vase noire comme on en trouve dans les grottes de l’ouest de l’île. Des traces de sang sur le manche et le bord.


Le cambriolage de 2004

La maison d’Yves Jezequel et Catherine Font a été cambriolée dans la nuit du 17/02/2004. De nombreux objets d’art et des bijoux ont été emportés, et plusieurs œuvres de Catherine Font saccagées. L’artiste, réveillée par le bruit, a interrompu les voleurs, qu’elle n’a pu identifier. Elle a été frappée violemment par l’un d’eux, mais Yves Jezequel les a mis en fuite.

A l’époque, le rapprochement entre ce cambriolage et ceux de Sébastien Botherel n’avait pas été fait pas la police, et aucune confrontation organisée.



Solution


Pour trouver le coupable, trois éléments clé :

  • l’inscription sur le sable

  • l’emplacement du corps et surtout des traces

  • les traces trouvées près du zodiac


L’inscription sur le sable est forcément de la main de la victime, puisqu’aucune trace n’entourait son corps avant sa découverte.

« L ma tué » peut se comprendre de deux façons : Elle m’a tué, ou L. m’a tué.

Les deux femmes sont donc suspectes, ainsi que Loïc Botherel, Pascal Lorca, et on ne peut exclure Ludovic Le Gwen, bien qu’il soit douteux que la victime connaisse son nom.

En revanche, cette inscription innocente Yves Jezequel.

Les traces sur le sable :

La victime, gravement blessée, a trouvé la force de marcher à quatre pattes sur 6 mètres, après avoir marché normalement au moins 5 mètres. Au delà, elle n’a pas laissé de traces. Cela ne peut s’expliquer que d’une façon : elle est sortie de l’eau à cet endroit. La mer a effacé les empreintes qu’elle a pu laisser auparavant.

Puisqu’elle a parcouru 11 mètres après être sortie de l’eau, et que le corps est à 25 me de la ligne de plus basse marée, cela signifie que la victime est sortie de l’eau à 25-11=14 m de la ligne de plus basse marée.

La marée basse est à 17h59. La marée haute, six heures plus tôt ; et 60 m séparent la marée haute et la marée basse. La mer recule donc de 10 m à l’heure. 14 m de distance représentent près d’une heure trente : cela permet de calculer l’heure à laquelle Sébastien Botherel est sorti de l’eau : 16h30 environ.


Vu ses blessures, il a dû mourir quelques minutes après son agression. Le coupable l’a donc frappé un peu avant 16h30.


Il faut 30 minutes pour aller de Roscoff à l’île de Kemeneur, Lorca et Le Gwen y sont donc arrivés à 16h45 au plus tôt : ils sont donc innocents.

Le zodiac vu vers 16h par Jezequel devait être celui de Loïc Botherel. Mais qui l’occupait ? Selon Loïc, son frère serait reparti avec le bateau suite à une escale, vers 15h40. Il était en tous cas accompagné quand Jezequel a pris la photo.

Le zodiac a été retrouvé avec des traces de bagarre, et les restes du butin. On peut supposer que Sébastien Botherel et son compagnon sont allé récupérer le magot dans les grottes, d’où les traces de boue sur la pelle. Puis que le compagnon ou la compagne de la Botherel s’en est pris à lui, à coups de pelle, crevant le bateau pnuematique dans la bagarre, et lui assénant le coup fatal. La victime est alors tombée à l’eau, s’est relevée et a marché jusqu’à la plage tandis que son agresseur prenait la fuite et allait dissimuler le canot dans les dunes.

Les traces de pas qui sortent du zodiac sont donc celles du coupable. Ce qui signfie que celui-ci a une pointure comprise entre 39 et 42.

Cela innnocente Catherine Font qui chausse du 37. Son témoignage peut donc être considéré comme crédible : elle a aperçu Sonia Vehuys de 16h15 à 16h30, ce qui innocente également cette dernière.

Le seul coupable possible est donc Loïc, le frère de la victime.


NOTES

[1] Précision rajoutée suite à une remarque d'un lecteur attentif

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