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« Je suis pas très littéraire moi... »

« Je suis pas très littéraire moi... »

« Je suis pas très littéraire moi... »
Mis en ligne le jeudi 6 mars 2008 ; mis à jour le mardi 1er avril 2008.

Publié dans le numéro VII (déc. 2007-fév. 2008)

François, 33 ans, traducteur-interprète

Je suis pas très littéraire moi. J’ai fait une école de commerce. J’ai pas fait d’études d’interprétariat et... le chinois c’est ma langue maternelle, je vois pas de difficultés. Moi je conçois la langue n’est qu’un outil en fait, pas une fin en soi. Moi je lis des choses qui me sont utiles, dans les infos, voilà, utilité quoi. Mais sans vraiment me lancer dans la littérature non, c’est trop long... j’aime bien les histoires courtes, succinctes, et en forme de résumé quoi. Je m’intéresse beaucoup ouais, j’aime bien l’histoire de la Chine. Je suis là-bas d’origine, j’y ai pris goût. Y a des choses à admirer. Je lis aussi des magazines oui, par exemple y en a pas mal des magazines ils parlent des faits divers de la société chinoise actuelle, des crimes passionnels, des dignitaires qui ont touché des pots-de-vin... Là on comprend l’évolution de la Chine en fait.

Les Chinois en France ils n’ont pas le temps d’apprendre le français. C’est pour ça qu’ils font appel à nous... pour lire une lettre, expliquer comment ça marche, traduire un acte de naissance, la vie courante quoi, un carnet de vaccination par exemple. Ça touche un peu tout en fait. C’est pas comme un commerce. C’est pas intéressant au niveau argent, c’est intéressant au niveau connaître comment ça marche, comment les gens vivent, leurs problèmes quoi. C’est leur faciliter de s’insérer dans la société française quoi. Moi je les encourage à apprendre la langue, prendre des cours et tout ça. Que les gens ne les regardent pas comme des extra-terrestres. On peut pas vivre dans l’ignorance de la langue, et on peut pas, comment dire... disons avoir du plaisir en regardant les autres être ignorants ou impossible de s’exprimer. Là ils ont pris conscience avec les lois plus sévères maintenant. Sarkozy dit que langage langage, faut bien parler français. C’est un bon truc ça. Moi je pense que c’est un peu normal aussi. Mais sans vouloir rejeter son identité d’origine c’est pas ça.

C’est deux civilisations tellement complémentaires. Y a un côté je dirais cartésien, très viril, très démonstratif, à l’image de Schwarzenegger je sais pas des guerres napoléoniennes, sur les grosses plaines... contrairement à la civilisation chinoise qui est plutôt subtile, féminin je dirais, rotatif, circulaire, très subtil, nuancé, et qui parle de la guerre en utilisant des paramètres, je dirais le cœur des gens, même dans la vie courante. Y a aussi la dualité entre l’individu et le groupe. La démocratie en occident, l’individu s’exprime sur la place publique. En Chine c’est le groupe qui prime, le chef ordonne et on exécute. C’est intéressant de s’en inspirer. Être totalement démocratique je sais pas, après on a l’impression de vivre sur le fer. Je vois des émeutes en France, en 2005, attendez je dirais c’est nul, c’est bien la démocratie, mais c’est n’importe quoi. Après vivre trop en famille dans le groupe, on n’a pas de vie privée. Moi je pense depuis longtemps que le schéma qu’on devrait avoir, c’est le carré au fond de soi, garder l’esprit cartésien, les principes, très carrés, et tout autour à l’extérieur du carré, un cercle ou une sphère, qui peut amortir tous les chocs, être souple dans le comportement.

Je peux pas m’effacer moi physiquement. Si jamais je me barre en Argentine et je dis je suis français, les gens c’est ah bon ? Je peux pas me reconstituer en blanc. Peut-être que je pense comme un Français, mais je peux pas m’effacer. Ce serait hypocrite je dirais. Je pense plutôt en français, dans ma tête oui je pense en français. Dans certaines situations ben je suis obligé, faut penser chinois pour être plus fidèle quoi. Je vais penser à une histoire ou un proverbe qui adhère mieux à la situation du moment. Et à ce niveau-là les Chinois ils ont plus de proverbes que les Français, largement. Ah la la, c’est très très riche. Mais de passer de l’un à l’autre c’est instantané, je me rends pas compte, je veux dire que la barrière c’est pratiquement invisible. Au départ c’était dur à l’époque d’apprendre le français, mais on était petit, on n’a pas de souvenir de ça. Dur ou pas dur, on arrive et puis voilà on s’habitue. Faut être français pour vivre ici quand même. Y a très peu d’Asiatiques naturalisés, en proportion... parce qu’ils ne veulent pas... c’est assez traditionnel en fait, c’est les feuilles tombent et retournent à la racine, ça veut dire qu’après après la mort il faut rapatrier. C’est pour ça qu’un déracinement de Chinois c’est impossible je pense.

J’aime travailler à l’occidentale, faut que ce soit clair quoi, et puis à la maison, vivre à la chinoise, plus familial, plus sympathique. La sagesse de la vie a peut-être plus de profondeur, oui quand même je pense. C’est quasiment impossible, je parle de la deuxième génération, que nous nous épousions une Française, c’est pas évident. Bien sûr j’ai eu des aventures, des copines tout ça, françaises. L’esprit m’a passé quand j’étais plus jeune, après bon, y a quand même les parents derrière, ça leur plairait moins. Après... moi j’ai l’esprit assez famille quoi, j’aime bien les enfants, une Française aura plus de mal. Y a aussi le côté arrangement, parce que la vie est un arrangement, peut-être je cherche aussi la facilité un peu. Forcément une Chinoise qui est plus réservée c’est plus facile à gérer. Le problème c’est qu’on peut pas avoir quatre femmes, comme les musulmans - je rigole là ! C’est une question de résignation, de tolérance, qu’on n’a plus maintenant, on veut tout faire et rien faire, on veut tout avoir sans rien faire.

Les enfants on leur apprend le chinois, on fait qu’ils sont conscients d’être d’origine chinoise. Ils ont deux prénoms français et un nom chinois, mais à la fin, parce qu’ils sont français. C’est sympa de pouvoir mettre trois prénoms, moi aussi j’ai trois prénoms. C’est très pragmatique hein. Quand un pays est plus riche que le sien... forcément on est amené à aimer les gens de ce pays, leur prospérité. Quand j’étais en Chine je me rappelle, on mangeait pas beaucoup de viande à l’époque, quand on regardait les films de l’Occident, on se disait oh la la le petit blanc il vit bien, ses parents ils ont la voiture, super lit, il mange bien tout ça, bien propre, on se disait pourquoi on n’est pas... enfin bon, quand on fait des études on comprend pourquoi.

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