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Patrice, ambulancier, 47 ans

Patrice, ambulancier, 47 ans

Patrice, ambulancier, 47 ans
Mis en ligne le samedi 1er mars 2008 ; mis à jour le vendredi 7 mars 2008.

Publié dans le numéro VIII (mars-avril 2008)

Patrice, 46 ans, ambulancier

On a besoin de vous et en plus vous êtes là. C’est pas beau ça ? Le malade il est dans la souffrance, il est dans son problème. Et nous notre rôle c’est de détourner ce problème-là. On arrivera toujours d’une manière ou d’une autre à lui faire penser à autre chose. Dans tous les cas, j’essaye de... je dirais pas de faire péter le bouchon, mais d’essayer de faire décontracter un peu l’atmosphère. Je vois les jeunes dans ma profession ils sont beaucoup trop dispersés. Ils font leur métier... de façon euh... aérienne. C’est-à-dire ils sont là de telle heure à telle heure. Après, la façon dont ils vont se comporter avec les personnes, ils n’y trouvent pas le même intérêt que j’y trouve moi. Et... je suis un petit peu dans mon monde. Si je le fais c’est pour essayer d’être le plus humain possible, et le plus... comment dire... efficace possible. Quelqu’un qui fait ça un petit peu par-dessus la jambe, qui n’essaie pas de comprendre leur malaise, je sais pas de bousculer un petit peu pour leur faire je sais pas bouger... J’essaie toujours de les faire parler de leur passé, de choses qui ont été importantes pour eux, ou concernant leur passion, toujours j’essaye de les emmener ailleurs. Les emmener ailleurs de leur idée fixe, parce que sinon ils se bouffent. Quelqu’un qui a une souffrance, de l’intérieur il va se bouffer. Alors là je lui tiens le crachoir. Parce que l’esprit qui est dans son monde c’est pas possible, c’est pas gérable, c’est autodestructeur.

Entre le moment de consulter une personne dans son lit, et de l’amener à l’hôpital... c’est deux mondes différents hein quand même. Faut la bouger entre-temps. Et bouger quelqu’un qui va mal c’est pas recommandé. Du moment où j’ai chargé mon malade, si je dois aller vite ou lentement, il bougera pas. Vitesse stabilisée, pas de coup de volant intempestif, pas de coup de freinage intempestif, faut que ce soit général. Si d’un côté on l’arrange et que d’un autre côté par une conduite inadaptée on va le stresser ou l’esquinter euh... on a tout perdu. Parce que ce qu’on reproche souvent à la santé en France c’est qu’elle est dématérialisée. Et moi je veux justement faire le contraire, ça veut dire que j’y vais comme quelqu’un qui accueille un autre. Je l’accueille dans mon monde pendant quelques minutes. J’essaye toujours de garder le maximum d’humanité. J’y vais avec un œil d’hôtellerie...

J’avais fait école hôtelière et puis je m’étais aperçu que même si c’était une voie créative, je manquais de contact humain. J’étais décalé par rapport à la vie de tout le monde. Un cuisinier lui il travaille au moment où tout le monde sort et communique, ce qui fait que moi je me retrouvais à avoir des détentes au moment où on se retrouve seul. Et c’est un peu ce qui m’a fait me poser la question en disant si j’ai envie de vivre un peu comme tout le monde, il fallait que je me mêle à tout le monde, que de m’isoler comme ça c’était pas ma voie. En mon âme et conscience c’était pas ma voie. J’ai fait la démarche personnelle quoi. J’ai besoin que ça bouge. D’être dehors, de voir le monde bouger et de bouger. On est dans la vie, dans la vraie vie, et justement c’est ce qui me manquait un peu dans la dématérialisation au niveau de la cuisine. On faisait des choses agréables, artistiques, je dis pas le contraire, mais il manque le relationnel riche. Ça m’a toujours intéressé de faire tout ce côté aide à autrui, voilà. L’altruisme, c’est pas donné à tout le monde, mais moi ça a toujours été mon leitmotiv en fait. De pouvoir aider c’est la plus belle chose qu’on m’ait donnée. Même si je gagne ma vie dessus, mais bon ce que je gagne c’est des cacahuètes, par rapport à ce que j’essaye de donner. Je le fais pour l’argent, pour vivre, mais je le fais pas pour l’argent dans mon cœur. Vaut mieux aimer plutôt que d’être aimé, comme disait le chanteur, c’est plus fort c’est tout. C’est une philosophie comme une autre.

Moi je suis en santé, eux, ils sont malades. C’est très dur, parce que la maladie c’est la mort. On serait chez des bouddhistes on verrait ça tout à fait autrement. Mais nous notre vie est limitée dans un espace-temps qui est... Mais pour moi la fin du chemin c’est pas une fin en soi. La personne âgée qui est je dirais 70% de la personne qu’on est amené à transporter, c’est automatique, c’est un peu dur. Le corps est une parfaite machine, seulement avec l’âge elle se dérègle. Comme toute machine. Nous notre véhicule est en panne, il a fini son travail, l’esprit continue son boulot, il repart ailleurs et... Bon la vie sur terre elle est pas toujours très drôle non plus, donc quelque part faut relativiser. C’est-à-dire que quand on a la santé on ne peut être qu’heureux.

Quand je sens que je tire un peu sur la corde je prends une petite semaine pour laisser partir un petit peu tout. Pendant le repos je lis, je lis enfin parce que là j’ai le temps, beaucoup de romans historiques, j’adore l’histoire de France. L’introspection, un peu de repli sur soi quand je suis en congé, de faire le vide, l’auto-analyse, parce que c’est le problème de beaucoup de gens que je côtoie, de temps en temps ils devraient faire leur autocritique, leur auto-analyse, de savoir dans tel ou tel domaine est-ce que je fais bien, parce que les décisions de notre vie, comme tout être hein comme tout un chacun, une suite de décisions entraîne des conséquences qu’on peut pas toujours quantifier. Alors le fait de pendre du recul on se dit est-ce que je peux arranger ça ? Moi mes vacances ça me sert surtout à ça. On essaie de garder bien la tête sur les épaules et les pieds bien par terre. C’est le doute qui nous fait avancer hein, pas la certitude. Ça me permet de relativiser un peu plus facilement tous les jours, et surtout ça affine ma sensibilité à l’écoute de mon voisin ou d’autrui. C’est-à-dire que tout doucement c’est comme si je m’ouvrais en fin de compte, j’ouvrais quelque part dans mon cerveau... Quand on est bien avec soi-même on réagira plus activement et plus rapidement, au moment voulu quoi, et même s’il arrive un pépin.

Je me changerai au moment où je vais quitter mon ambulance. Parce que je ramène pas tout ça à la maison. Ça c’est des tenues qui sont à moi, je les remonte chez moi et je les lave à part, j’ai un panier de linge sale spécial. La tenue elle me protège et elle présente, c’est-à-dire que c’est mon uniforme qui m’identifie et en plus ça me protège, pour la pure et simple raison que c’est une tenue blanche, elle est immaculée. Si je suis pas en tenue j’ai rien à faire dans une ambulance. De mettre la tenue et d’enlever la tenue pour moi c’est un cérémonial, un peu comme un prêtre, je me conditionne, pour être ambulancier. Faut être toujours propre. Avec le sang et tout, ça fait garçon boucher, ça fait pas génial. Donc quand je rentre chez moi, mon métier est resté dehors. Même si ça m’est arrivé que mon métier empiète sur ma vie. Mais on a signé, c’est comme ça. J’ai mis le doigt dedans, et puis ben ça m’a pris le bras et puis ça m’a pris la vie, et puis c’est tout. Et puis j’en suis pas mécontent, franchement j’en suis très heureux.

Une moyenne horaire bon... on travaille à mi-temps nous : douze heures par jour à peu près. En ambulance on est toujours en binôme. Ça tourne, c’est chouette. Heureusement parce que voir toujours les mêmes ce serait pénible. Parce qu’il faut pas oublier qu’on passerait plus de temps avec notre collègue que si on avait une vie de couple par exemple avec sa moitié ! La vie privée tant bien que mal elle suit et puis le jour où ça va plus ben ça va plus. Ça divorce à la pelle dans notre profession. Malgré ça j’ai été marié très longtemps. Je suis divorcé, mais c’est pas tellement le métier qui a entraîné. De toute façon j’ai 46 ans, j’ai vécu ce que j’avais à vivre... mais pour le moment j’ai déjà mon métier qui m’occupe pleinement, et puis mes enfants ça fait suffisamment de souci comme ça. C’est chouette, ça me gêne pas.

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