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L’Afghanistan au Musée Guimet

L’Afghanistan au Musée Guimet

L'Afghanistan au Musée Guimet
Mis en ligne le lundi 11 juin 2007 ; mis à jour le mardi 7 avril 2009.

Publié dans le numéro II (mai 2007)

J’étais allée au musée Guimet un dimanche matin, à la mi-janvier. Devant le musée, une page collée à la hâte spécifiait : exposition Afghanistan, une heure d’attente. J’avais doublé les gens qui me dévisageaient. J’avais assuré les portiers qu’il ne s’agissait pas d’une erreur : oui, collection permanente, non, pas l’exposition Afghanistan. J’étais entrée dans le hall du musée, vide de monde, et m’étais vite faite rabrouer parce que je m’appuyais sur un bloc en béton du XXIe siècle après J.-C. pour dessiner. J’avais croisé ce jour-là une Divinité à tête de cheval en grès (Cambodge, style de Pre Rup, Xe siècle) et, dans la pièce contigue, un Lion du Cambodge ayant la chute de reins de Scarlett Johanson. Une petite fille s’était assise près du lion en pleurant, ses parents avaient accouru, puis le surveillant de la salle, qui avait dit dans son talkie-walkie y’a une gamine qui a vomi, sur le lion Style du Bayon du XIIe siècle. Les pièces étaient désertes. J’étais montée, au hasard. J’avais vu le Vase en forme d’éléphant, un petit démêloir en jade sur lequel trônait un minuscule tigre, et un oiseau à tête de bélier monté sur roues. Et les chevaux de Jacques Polain. J’avais promis de revenir, et j’avais acheté deux cartes postales : la joueuse de polo, et une peinture où se détachait un drapeau jaune bordé de noir parmi des cavaliers.

Joueuse de polo 

J’entre par la sortie. Le gardien me montre l’entrée l’air narquois. J’entre donc. Un long couloir, bas, assez sombre. Sur le mur de gauche, le titre de l’exposition, avec une petite phrase indiquant le mécène principal : Crédit Agricole. Et, sous ce nom, une petite affichette mal collée du logo dudit mécène, qui part en lambeaux. Quelques pas plus loin, l’inscription « PARCOURS ENFANT. Prends le livret découverte et suis les .... ! », les points de suspention étant matérialisés par un pictogramme d’un animal bizarre. Toujours dans le couloir d’entrée, un attroupement, sur la gauche, lit le grand paragraphe qui ouvre l’expo, cependant que le long du mur, sur la droite, des chaises disposées les unes derrière les autres sont occupées par des gens qui regardent vaguement un écran disposé dans le fond. Le scénographe était malade ce jour-là, c’est certain : puisque regarder dans un couloir d’entrée de deux mètres de large, en file indienne, un écran, relève du miracle. Je me faufile près de l’écran, juste derrière un couple de (très) vieilles personnes, petites et élégantes. Le film projeté est de Ria Hackin, il date de 1936-39, me dit la petite pancarte. C’est l’Afghanistan, bien sûr. Mais colorisé. Et c’est extrêmement étrange, ces couleurs criardes. On y voit des paysages grandioses, des paysages, encore des paysages, un chien, un âne, des paysages grandioses. Un chameau. Tu te rappelles les chameaux du désert au Koweit ? dit la vieille dame au vieux monsieur, qui trépigne sur sa chaise, paysages, paysages, tente un On y va ? mais sa femme ne bronche pas, alors c’est paysages, paysages, paysages, toujours dans ces teintes folles, l’Afghanistan en technicolor, moi aussi je commence à m’ennuyer, derrière nous les gens se lèvent les uns après les autres pour s’engouffrer dans la petite entrée de l’exposition sur la gauche, lorsqu’on voit trois rondins de bois enjambant une rivière, des hommes la traversant avec une démarche de Charlot, émotion des images d’époque, ils vont tomber dans l’eau oui mais quelle importance puisqu’ils sont morts, les images vivent, et le vieux couple devant moi, très vieux, très digne, m’émeut parce qu’ils regardent attentivement comme s’ils cherchaient quelque chose, et de temps à autre la femme dit : ça, c’est sûrement... , ils ont connu le pays à une époque, et rien que cette idée du voyage, qu’ils soient allés là-bas, alors qu’ils sont tellement ici, d’ici, me plaît. Paysages, mais cette fois avec des sortes de maisons troglodytes dans la roche immense, et la femme dit : On comprend qu’ils peuvent se cacher là-dedans. Sacré Ben Laden. Je me lève pour ne pas rire.


J’entre. La moyenne d’âge est frappante. Soixante ans au bas mot. Qui ont un moins de cinquante ans, il n’y a guère que les guides, les surveillants des salles, et moi. Dans une petite vitrine, un taureau me regarde, du haut de ses quatre mille ans. Bol à décor de taureaux barbus, Afgh. Tepe Fullal, 2000 av.J.C. Deux grosses femmes d’une cinquantaine d’années s’approchent en parlant fort. L’une d’elle, lisant la légende : Les archéologues ont souvent beaucoup d’imagination. Puis, observant la vitrine : Ah. Il y a un taureau barbu. J’ai rien dit. Mais ils ont souvent une imagination débordante, les archéologues. Elles s’en va, en continuant : Quand il était petit, Alexandre, il voulait être archéologue magicien. Oui, archéologue magicien. Déjà, je ne regrette pas d’être venue. En venant, je redoutais l’absence de monde : cette exposition est à l’affiche depuis plus de trois mois maintenant, et venir un vendredi en milieu de journée me paraissait risqué, pour y croiser des visiteurs. Je n’ai pas fait trois mètres dans l’exposition que les voix se croisent toutes et que toutes me plaisent. J’avance vers une autre vitrine, où la même dame, à popos d’une plaque indienne où de petits fragments cassés reforment un début de cercle, dit en montrant l’objet : Tu dois être heureux d’avoir... Je n’ai pas entendu la fin. J’aurais tant voulu savoir de quoi doit être heureux le monde. Tant pis.


Je retourne vers l’entrée. Trois petites dames, très âgées encore, sont attroupées auprès d’un drôle de monstre, très expressif, bouche ouverte, muni du picto-pour-les-enfants. On dirait une gargouille ? - Ah oui... - C’est une fontaine ! - Ahhhh ! - Ah, ça devait être ça. Une fontaine. Elles vont vers la pièce exposée n°3. Vaisselle in-den-tée. - Ohhhhhhhh ! - IIIe siècle. - Ahhhhh. L’une regarde, l’autre lit la légende, toutes commentent avec des Ohhhh et des Ahhh d’une telle sincérité, que je me demande ce qu’elles vont dire devant des pièces plus majeures qu’un bout de porcelaine. - Oh, c’est à moitié effacé la légende. - Ils auraient dû coller une étiquette. - Ohhh ! - Remboursé ! Remboursé ! Et les trois vieilles copines, en riant, continuent leur exploration. Elles me sont tout de suite sympathiques, parce qu’elles commentent certes, mais pleines d’une bonne humeur qui n’émane pas du tout des autres visiteurs. Au moins, elles ne se prennent pas au sérieux, et même leur Alexandre a dû passer par là sonne juste. Plus juste en tout cas que le Il y avait des statues greques ? - Ah ben j’savais pas... des deux visiteuses cinquantenaires étonnées de l’Afghanistan, dont l’une, quelques mètres plus loin, dit d’un air littéralement accablé, comme si toute la complexité du monde venait de lui tomber sur les épaules à la vue des influences grecques sur l’Orient : Il y a tellement d’interactions... pffff...


Je continue. Un groupe d’une vingtaine de petits vieux est là. La guide articule fort. Un petit vieux à l’œil vif fayote devant un chapiteau : C’est corinthien, ça. C’est le seul du groupe qui a l’air d’écouter vraiment ce que dit la guide. Il s’étonne aussi, devant la reconstitution informatique en 3D des palais, (reconstitution qui ressemble à un tableau De Chirico tellement ces enfilades de colonnes semblent vides et froides), qu’il n’y ait pas eu plus de monde à l’époque. La guide semble un peu gênée ; ce n’est apparemment pas la première fois qu’on lui fait la remarque. La reconstitution ne reconstitue rien du tout.


À côté, une tête de Bodhisattva du IIIe siècle. - Tu sais quoi ? Ancienne collection Malraux. Il l’a donnée ! dit une femme à son mari. Le mari grommelle, j’entends trafic d’art. Devant une grande photo grisâtre d’une montagne, qui me fait penser aux noirs et blancs grisâtres du volume un du Tigre qu’on a reçu hier, l’homme se fend d’un C’est fabuleux, ce côté massif...


On entre alors dans une zone sombre, où des vitrines éclairées montrent des bijoux éclatants. C’est le trésor des tombes afghanes de Tillia Tepe, Ier siècle. Il y a foule devant les vitrines, une ligne de gens, statique, qui se déplace imperceptiblement vers la gauche, vers une nouvelle vitrine. Je me glisse au milieu de la foule. Sur ma droite, dans le noir, un couple, que j’imagine être des amants parce qu’ils me semblent trop guillerets pour être honnêtes. L’homme dit, à propos des bijoux d’or On en prend quelques-uns ? La femme murmure quelque chose, et sa phrase se termine par à la vodka... Oh mais j’ferai plus ça. Ils regardent longuement des petits bijoux d’or, que je ne trouve ma foi pas du tout extraordinaires par rapport à ce que l’on peut voir dans le reste du musée. Une plaquette en forme de scarabée. Les amants bavassent. Ça servait à quoi ? - Oh, dans des boutonnières... enfin j’crois - C’est d’une délicatesse ! - On se demande comment on peut faire ça... oh, regarde ! Moi, je vois très bien comment on peut faire ça. Les petits bijoux en fleur ressemblent aux imitations à dix centimes d’euro en métal doré qu’on trouve chez les mercières, et que j’aime tant.


Il y a tellement de monde devant le trésor des tombes, que je fais marche arrière. Je retourne dans la première salle. J’y retrouve mes trois vieilles dames indignes, qui n’ont pas beaucoup avancé dans leur visite, et pour cause. C’est du bronze. Ohhhhh ! Il est pas grand. On est grandes, nous ! C’est Héraclès pourtant, ohhh ! Très bien ! Puis, se tournant subitement vers le film en 3D : Y’a un amphi ! Ahhhhhhh ! Et il y a une rivière, à côté ! Oh, mais c’est l’immensité ! Je reste auprès d’elles. Devant la colonne corinthienne, c’est reparti pour un tour. C’est joli comme couleur ! C’est la pierre qui fait ça. Le marbre, ceux qui travaillent le marbre, ça doit être dur, ça, j’admire ! Regardez le beau chapiteau, ohh ! Régulièrement, je fais attention à griffonner un objet, recopier ostensiblement une légende, pour qu’elles ne voient pas que je vole leurs mots.


Puis je retourne dans la salle sombre du trésor : toujours trop de monde. Alors je continue jusqu’à la salle suivante, qui est étonnamment vide. Le trésor happe tous les visiteurs. Je regarde une plaque à décor ajouré en ivoire, une Cavalière chevauchant un léogryphe (Afghanistan, Bagram, 1er siècle). Deux petites vieilles s’approchent. La pancarte de légende est assez haute. - Celui-là, on l’a pas vu. - La bête, c’est un monstre... un cheval monstrueux. Un théogryphe ! ... non, un hiéroglyphe - Et les seins... toujours les seins de la femme... le nez, le visage... Magnifique. Eh ben voilà. Sortie. Et elles sortent. Je pense à sortir derrière elles, article fini. Mais non. Je n’en ai pas assez vu. Dans les expositions, je n’ai pas de montre, et il y a toujours une sensation du temps arrêté, de ce qu’il faut voir, pas voir, revoir, en sens inverse, qui est purement intuitive. Là, pas encore. Je regarde vaguement une tête de bovidé et un buffle couché. Ceux-là me plaisent toujours. Les petits bœufs humbles.


Puis je retourne parmi l’or et la foule. Cette fois, je me mets vers la fin, là où les petites pièces sont devenues couronnes. Je suis à côté de deux jeunes femmes d’une trentaine d’années, à vue de nez.- Deux ou trois châteaux de la Loire par jour, à la fin tu sais plus ce que t’as vu. Elles sont en pleine discussion devant des couronnes royales. J’pense pas que j’vais acheter de Bourgogne, c’est trop cher. Épingles à cheveux, tiens... ça devait être joli, dans les cheveux. Je vais ramener quelques bouteilles. Et ça c’est beau. J’prendrais bien un petit bracelet comme ça ! Elles pouffent. Je ressors de la pièce.


Je me suis à peine approché d’une vitrine centrale, que j’entends une dame dire à une autre : regarde le tigre ! Je m’approche vite. Remarque le tigre, on dirait une décalcomanie presque... incroyable ! Tu sais, les trucs que tu as dans les journaux pour enfant. Il y a un tigre, sur le Grand gobelet à décor peint : scènes de chasse et de pêche, (Bagram, 1er siècle, verre incolore). On ne voit que lui (le tigre), parmi les poissons, sur le vase qui fait 24,8 cm de haut. On dirait en effet une décalcomanie. Quel joli cadeau. La guide hurle auprès des ivoires Ils sont exceptionnels, et pourquoi ? Pourquoi sont-ils exceptionnels ?


Je retourne dans la pièce des sombres bijoux. - Gisèle, venez voir les épingles à cheveux ! - Ça ? des épingles à cheveux ? incroyable ! - Et le 15, c’est un petit récipient... - Et les plaques ? - T’as vu ! Il y a une bête sur le truc du bout. Une tête de bête.
- Les gens qui font des bijoux fantaisie doivent s’inspirer de ça.
Je longe la file, toujours aussi dense, et retourne encore dans la première pièce. Une autre guide parle à un petit groupe (de vieux, toujours, toujours, de plus en plus vieux même) : il s’agit d’une tête féminine... Une dame dit bien haut : Ben non, il a des moustaches ! Le mari : non, l’autre... La guide : Les talibans se sont acharnés... Soupirs dans la foule.


Je retrouve mes trois copines, qui sont à dix mètres de l’entrée... je me demande si elles auront fini l’exposition, pourtant pas bien grande, avant la fermeture du musée. Elles philosophent : Chaque civilisation... ça s’arrête. - S’ils avaient continué, ce serait fabuleux, ça ! Mais les voilà qui entrent dans la pièce sombre, où je les suis : et ça, c’est un amour sur un dauphin... on le voit bien, ohhhh ! Et la tête du dauphin, ohhhh !
- Oh là là ! Bracelets de chevilles... - Tu vois, elles avaient de grosses chevilles ! - Bracelets de chevaux ! - Ben si, les Scythes, ils les décoraient, les chevaux... - Ben ils ont pas de chevilles !
Pas de chevilles, non, mais des jambes, ai-je envie de leur dire : car les chevaux sont les seuls animaux qui aient des jambes et non des pattes dans le langage, car les chevaux ne sont pas des animaux (dit-on). Mais les trois copines continuent de plus belle : Ah, il manque des numéros... huit... tête de bélier... Ah oui ! le museau il est à gauche ! Sur ma gauche, un couple. La fille demande avec un accent étranger délicieux Qu’est-ce que ça veut dire bague au chaton ? et son compagnon répond mpff. Abruti, va. Je ressors, cette fois définitivement. Je retourne voir le tigre. Ah, le tigre !


Je sors. On entend les bruits des couverts du restaurant voisin, qui est plein. On peut y manger un Menu Guimet ou un Menu Route de la Soie pour respectivement 16 et 19 euros. Je jette un coup d’œil au livre d’or de l’exposition. Finesse, sagesse, noblesse : ces figures superbes nous font mesurer le chemin parcouru... à l’envers ! Un peu plus haut, d’une écriture enfantine ou du moins adolescente : Vive le bouddhisme, Bouddha c’est mon dieu préféré ! Je feuillette quelques pages. De si belles choses, si mal mises en valeur ! Le pays méritait beaucoup, beaucoup mieux que ça...Une page entière de récriminations. Quel gâchis ! Scénographie nullissime, textes illisibles. Quelqu’un a rajouté une phrase à laquelle je ne peux pas souscrire : Pouvez-vous dire aux visiteurs de parler moins fort ?

cheval polain



Je retourne là où je devais retourner, munie de mon ticket. Soudain, alors que la moyenne d’âge oscillait entre le troisième et le cinquième âge, j’entends un brouhaha joyeux. Ce sont les musées aujourd’hui : interdits aux 7 à 77 ans. Une soixantaine d’enfants s’amassent dans le hall, avec leurs accompagnateurs. Un premier groupe entre. Tous tiennent un crayon et une petite feuille à la main. Quelques-uns partent soudain tous en courant vers la divinité à tête de cheval, les autres les rejoignent. C’est de quel pays ? Du pays Cambodge. C’est facile ça. Question suivante. Une tête d’éléphant. C’est facile. Oh non, c’est pas lui ! Ils vont ailleurs. Trouvent l’éléphant. Il a été fait en Grèce ? Non, en grès. Nouvelle recherche. Il doit être dans un cercle de flammes ! - On a qu’à aller par là ! Un autre groupe arrive. Ma méthode de collecte de phrases marche soudain moins bien. Plusieurs me dévisagent, comprenant que je trafique quelque chose à griffonner des choses en tournant autour d’eux. J’ai l’air louche. Il est temps de partir. Je reste quand même un peu auprès du vase en forme d’éléphant, le temps d’entendre une petite fille s’écrier Ah c’est trop beau, je voudrais en avoir un chez moi. Puis je vais où je voulais retourner. Chine du Nord, dynastie Tang. Terre cuite, polychromie. collection Jacques Polain, donation 1993. Sous chaque chef-d’œuvre, la petite mention est là : collection Jacques Polain, donation 1993.

Je pense à Jacques Polain, dont je ne sais rien. Je pense que de tout le musée, il a possédé le plus beau. Je me demande ce que cela fait d’avoir, de son vivant, cela chez soi. Il avait le Cheval sellé, MA 6111. L’écriteau dit Les trois touffes nouées de la crinière dites « trois fleurs » correspondent à une mode venue du monde des steppes. Les aplats de couleur rouge évoquent peut-être la légende des chevaux volants et la sueur de sang perlant sur leurs flancs. Le couple de tout à l’heure, ceux qui parlaient bijoux et vodka, passe. Il est disproportionné le cheval. - Ils le sont tous. - Sauf peut-être le petit. Sous la lumière, ils ne me touchent plus. Ils regardent le Chameau se relevant. La femme dit : Le chameau il a deux bosses et le dromadaire il a une bosse, ça je le saurai toujours. Je pense au passage des mémoires de Pauvert que j’ai lues hier soir, où il dit, après des périodes difficiles, le moment où tout se comble, dans ce moment-là où on est comblé, on en veut encore plus. Je me demande si c’est mal. Ces chevaux gardaient l’âme d’un mort. Ils ont gardé Jacques Polain de son vivant. Polain mort, il a rendu ses chevaux aux autres. Des œuvres d’éternité, les voler au regard des autres quelques secondes, est-ce que c’est mal ? L’éternité moins quelques années. Je pense aux voleurs de tableaux célèbres, les tableaux invendables : qui donc ne les volent que pour les accrocher à leur mur. Dans la boutique du musée, il y avait bien une petite carte postale, une seule, à un euro. Je suis allée vérifier qu’il n’y en avait pas une autre. J’aurais bien voulu celle qui avec le cheval pommelé et la femme en tunique bleue. J’ai hésiter à la racheter, pour en avoir une seconde. Je me suis ravisée. J’ai acheté pour un euro un crayon blanc avec un petit motif Musée Guimet. Je suis entrée chez moi. En ouvrant la porte, j’ai vu la petite carte postale de l’entrée, la Joueuse de polo en terre cuite, celle qui est habillée en rouge.

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